vendredi 13 juillet 2012

Episode 3 du feuilleton «Publicités Facebook et "intérêts" pour certaines pratiques sexuelles ou les drogues»

La réponse officielle - et décevante - de Facebook à mon enquête sur le ciblage de nos centres d'intérêts pour certaines pratiques sexuelles
ou certaines drogues. Tandis que Benoit Dupont, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie de l’Université de Montréal, nous met en garde contre l'utilisation de ces données par la police ou les agences de sécurité.



A la suite de la publications de mes découvertes (voir les épisodes 1 et 2 de ce feuilleton) sur le ciblage que Facebook offrait à ses annonceurs en fonction de nos soi-disant centre d’intérêts déclarés pour certaines pratiques sexuelles ou certaines drogues, j’avais interrogé le service de presse de Facebook France afin d’obtenir la réponse officielle du réseau social.

Voici ce que j’ai reçu, par courrier électronique, en guise de réponse :

Veuillez trouver ci-dessous la réponse de Facebook à vos questions concernant la publicité.

Les mots clés qui apparaissent dans notre outil Publicités sont générés automatiquement (sans intervention humaine). Ils reflètent la tendance générale des divers sujets abordés sur Facebook. Pour autant, la présence de ces mots clés n’est pas directement représentative des différents types de publicités pouvant être publiées. Même si certains mots sont utilisés pour mieux cibler les utilisateurs, les annonceurs sont tenus de respecter des règles strictes concernant les publicités qu’ils proposent. La promotion d’activités ou de services illégaux est strictement interdite.


Lors d’un entretien téléphonique, j’ai demandé à Benoît Dupont, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie de l’Université de Montréal, ce qu’il fallait retenir de tout cela.


Que pensez-vous du ciblage publicitaire proposé par Facebook en fonction de données sensibles comme nos centres d’intérêt pour certaines pratiques sexuelles ou certaines drogues ?

Benoit Dupont : «Ce n'est pas quelque chose de délibéré, c’est le résultat involontaire de l'automatisation de leur système publicitaire. Facebook fait du data mining, de la fouille de données sur tout ce que nous publions sur son site : des logiciels tentent d’analyser nos statuts et nos commentaires pour savoir ce qui nous intéresse.
Mais nous aurions pu penser que cette automatisation avait des limites et que, par exemple, la liste des mots-clés proposée aux annonceurs soit validée par des humains. Votre découverte prouve qu’en fait tout le processus publicitaire est entièrement géré par des robots, sauf, peut-être la vérification finale de certaines publicités.
Cela pose à nouveau un problème que j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de soulever : le rapport entre le nombre d’utilisateurs de Facebook et le nombre de salariés que compte cette entreprise. Nous sommes 901 millions d’Internautes, à travers le monde, à faire confiance au célèbre réseau, mais celui-ci n’emploie qu’un peu plus de 3 500 personnes*. Jamais aussi peu d’employés ont eu à gérer autant de clients !»

Estimez-vous que ce ciblage puisse se révéler dangereux pour les Internautes ?
B. D. : «Oui et pour deux raisons : ces informations peuvent être accessibles à d’autres organismes que les publicitaires ; et ces informations ne sont certainement pas fiables !
La première raison est que si cette possibilité de ciblage est offerte aux annonceurs, elle est sans doute accessible à des organisations policières ou à des sociétés de sécurité qui pourraient s’en servir pour alimenter des profils. Certes, Facebook ne donne pas directement accès aux noms des personnes qui se sont déclarées intéressées par telle ou telle pratique sexuelle ou par telle drogue illicite. Mais sur ordre de la justice, la police pourrait réquisitionner toutes ces données. Et des sociétés de sécurité peu respectueuses du droit pourraient très bien créer des fausses publicités sur Facebook ciblant ces centres d’intérêts ; ces annonces pourraient contenir un lien vers un site malveillant, permettant de récupérer l’adresse IP de ces Internautes, voire d’installer un logiciel espion sur leurs ordinateurs, permettant de tout savoir de leurs pratiques en ligne.

Ma seconde source d’inquiétude vient de la méthode grâce à laquelle sont identifiés ces centres d’intérêt. Le taux d’erreur doit être important : les machines ont encore beaucoup de mal à interpréter ce que nous voulons transmettre comme sentiments ou comme valeurs. Par exemple, beaucoup d’informations risquent d’être sorties de leurs contextes. Un papa qui s’intéresse à la protection des enfants sur Internet va peut-être parler de pédophilie ou de pornographie. Il risque, très injustement, d’être classé dans ces deux centres d’intérêt ! C’est ce que l’on appelle un “faux positif”. Inversement, les pédophiles, qui ont développé un jargon spécifique pour éviter d’être repérés, deviendront des “faux négatifs” : le système ne les a pas identifiés, alors qu’ils auraient dû l’être !»

La situation peut-elle s’améliorer à l’avenir ?

B. D. «Je ne le crois pas. Les entreprises Internet sont engagées dans une voie sans retour. Elles sont toutes convaincues que grâce à leurs modèles de ciblage, elles peuvent mieux toucher les consommateurs que les publicités dans les journaux ou à la télévision. Et ce sera encore pire lorsque vont s’ajouter, à nos centres d’intérêt, la géolocalisation et la reconnaissance faciale.»

Comment se protéger ?

B. D. «C’est difficile. Premièrement, il est vrai que certaines applications disponibles pour les ordinateurs et les téléphones mobiles permettent de noyer dans un flot de fausses données tout ce que nous publions sur Internet, mais cela demande un effort permanent.

Deuxièmement, si nous allons sur Facebook, c’est le plus souvent pour apparaître sous notre vraie identité, afin d’être reconnu et vu de nos amis.

Enfin, beaucoup d’Internautes se disent que cette exploitation de nos données personnelles - y compris des informations qui peuvent être très sensibles comme notre sexualité ou notre consommation de drogue - est le prix à payer pour avoir accès gratuitement aux services Internet. La plupart de nos concitoyens l’acceptent dans l’indifférence et la passivité. Et dans ce domaine, je ne vois malheureusement pas de révolution à court ou moyen terme.»

Propos recueillis par Jacques Henno
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Sources :
http://newsroom.fb.com/content/default.aspx?NewsAreaId=22